• Camps de concentration : l'ultime étape

    Que de chemin parcouru depuis mars 1933, date d'ouverture de Dachau !
    Terminée la gestion fantasque de l'époque SA ! Grâce aux efforts d'Himmler et l'esprit d'organisation d'Eicke, le IIIème Reich dispose désormais d'un système de répression et de terreur organisée comme aucun pays n'en connut jamais.
    Il serait certes injuste d'attribuer cette réussite à ces deux hommes uniquement, d'autres acteurs y ayant largement contribué chacun à hauteur de sa sphère d'influence mais cela fera l'objet de chapitres ultérieurs.

    Désormais les Allemands vivent tous à l'ombre d'un camp de concentration, sans garantie de ne pas y séjourner eux-mêmes un jour. 

    Tout est désormais en place pour le dernier acte.

    Portail de Buchenwald - Photo Eric Scwab pour l'AFP
    Buchenwald "Jedem das sein" (Chacun son dû)

     

    Les camps de 1940 à 1941

    Nous avons vu précédemment que dès 1938 les camps commencèrent à accueillir d'autres nationalités que les Allemands, des Autrichiens après l'Anschluß puis des Tchèques et des Polonais en 1939.

    Contexte historique

    Le Petit Parisien 1.oct 1938 (full size)Bien qu'Hitler n'ait jamais vraiment fait mystère de ses visées expansionnistes, les Alliés signataires du Traité de Versailles ont préféré jouer "l'apaisement", encore sous le traumatisme de la Première Guerre Mondiale. 
    Cette politique s'illustre dès 1936 quand la diplomatie européenne abandonne les républicains espagnols aux mains d'un nouveau dictateur, Francisco Franco.
    Le Reich annexe l'Autriche le 12 mars 1938, sans que cela suscite beaucoup de réactions internationales et, encouragé par cette passivité, ce sera le tour des territoires des Sudètes où vit une population à majorité germanophone.
    Malgré l'accord de 1924 qui la lie à la Tchécoslovaquie, la France préfère envoyer Daladier à Munich, accompagné du premier ministre Chamberlain, afin de trouver un compromis avec Hitler. Sous le regard bienveillant de Mussolini qui a organisé la rencontre, Daladier et Chamberlain signent les accords de Munich (le président tchèque n'a pas été convié) après la promesse d'Hitler qu'une fois réglée la question des Sudètes, il n'y aura plus de "problèmes territoriaux" car il ne veut que la paix. 
    Si Chamberlain se réjouit de ces accords, Édouard Daladier ne se fait aucune illusion. A son fils Jean, déçu que le conflit soit évité, il dira "La guerre, sois tranquille, tu la feras et elle durera bien plus longtemps que tu ne le voudras". (E. Daladier Journal de Captivité, préface de Jean Daladier).
    Pour la majorité les "points de détail" de cette affaire n'étaient rien par rapport aux millions de vies sauvées d'un conflit. L'avenir allait leur donner tort. Cruellement.

    Le 1er septembre 1939 les troupes allemandes violent la frontière polonaise. En réponse, la Grande -Bretagne et la France déclare la guerre à l'Allemagne le 3 septembre. Ce sera la "drôle de guerre" , retranchée dans la ligne Maginot. Les états majors alliés, malgré les voix d'officiers comme le colonel de Gaulle, restent sur la stratégie de la guerre de position.
    En 1940 les troupes hitlériennes enfoncent les lignes au nord et lance la percée des Ardennes, traversant la ligne Maginot.

    La Blitzkrieg a enfoncé toutes les lignes en seize jours. 
    Le 22 juin Pétain signe l'Armistice et entame la collaboration de la France aux côtés des nazis.
    Un régime de terreur règne sur toutes l'Europe. La déportations des citoyens des territoires conquis peut commencer.

    Internationalisation et surpopulation

    Avant le déclenchement du conflit, les gouvernements européens avaient perdu de vue un facteur essentiel, ce qui peut expliquer leur politique "d'apaisement" : là où ils ne virent qu'une guerre expansionniste, les nazis eux menaient une guerre à la fois idéologique et eugéniste.

    Pour les nazis, le "nettoyage" des territoires occupés doit rapidement commencer et déjà les membres du RSHA entrés dans le sillage de la Wehrmacht se mettent au travail : la chasse aux communistes, aux socialistes, en gros aux judéo-bolcheviques, est ouverte, avec parfois l'aimable collaboration de certains pays comme la France, la Hongrie ou la Yougoslavie, trop heureux de se débarrasser de leurs opposants, de leurs juifs et autres tsiganes. Rares parmi ces malheureux ceux qui savent vraiment ce qui les attend outre-Rhin.

    Leur arrivée dans des camps déjà fortement peuplés va entraîner, s'il en était besoin, une dégradation progressive mais sensible des conditions de vie déjà précaires.
    A titre d'exemple, Buchenwald comptait une population de 11 000 détenus à la veille de la guerre pour passer à 37 320 en décembre 1943, 63 000 fin 1944 et 86 000 en février 1945 avec l'évacuation d'autres camps devant l'avancée alliée.

    Dégradation des conditions de vie

    La surpopulation devient dramatique. On s'entasse dans les blocks et là où on dormait à trois par châlit, déjà à l'étroit, on se retrouve parfois à cinq, tête-bêche, les pieds sur le visage du voisin, sous une pauvre couverture qu'on se dispute à coups de poings. Il faudra construire à la hâte de nouveaux blocks mais certains camps dresseront des tentes où on gèle l'hiver et on étouffe l'été, sans aucun sanitaire autre qu'un seau en ferraille pris d'assaut par des dizaines d'hommes ou de femmes.

    L'hygiène devient un luxe. Lavabos et latrines sont insuffisants alors on se soulage où on peut. Les latrines débordent, parfois jusque dans les allées. Avec l'entrée en guerre, il ne faut plus guère compter sur l'affreux savon distribué jusqu'alors. La vermine commence à pulluler, poux et puces torturent les prisonniers, pondent dans les ourlets des vêtements et infestent les matelas de paille, désormais souillés.

    Prisonnier à NeuengammeUne nouvelle torture va faire son apparition : la faim.
    Avant la guerre, sans être satisfaisantes, les conditions alimentaires des camps étaient cependant "suffisantes" pour qu'on n'y meurt pas de faim, avec même de petites satisfactions comme la distribution de saucisson sur de la margarine ou même de la confiture (de rutabaga). Il arrivait même que l'on trouva quelque morceau de viande dans la soupe du midi, celle du soir se composant généralement uniquement de légumes ou d'orge.
    La bombance comparativement aux rations distribuées à partir de 1941 et qui continueront de se réduire au fil des mois ! 

     

    La Tour de Babel concentrationnaire

    Si les conditions de la vie quotidienne se dégradent, l'environnement psychologique se détériore aussi avec le brassage des nationalités qui augmente au fur et à mesure de l'extension du conflit. On recensera entre 22 et 26 nationalités à la fin de la guerre. Après l'été 1941, date de l'invasion de l'URSS, les prisonniers soviétiques, civils et militaires, font leur arrivée dans les camps.

    Les détenus non allemands vont très vite comprendre qu'assimiler les rudiments d'allemand est une condition de survie.
    Un ordre mal compris et c'est la bastonnade. Ne pas comprendre ou ne pas savoir décliner le numéro de matricule, qui devient la seule identité du déporté, et c'est la bastonnade. Ne pas savoir lire un panneau et c'est la bastonnade.
    La pratique voire la maîtrise de l'allemand permet d'accéder à des postes privilégiés et d'éviter les kommandos les plus durs. Quant à devenir un prominent, c'est exclu. 

    Les nazis feront de ce brassage de nationalités un élément de déstabilisation supplémentaire pour les internés en exploitant les antagonismes nationaux (voire nationalistes) et politiques. Nommer un Tchèque doyen d'un block français (voir plus haut), stigmatiser un juif pour justifier la punition de tout un block ou un kommando... les nazis ne manquent pas de ressources pour exploiter les antagonismes. Et ça marche car, même au sein de cette détresse partagée, les faiblesses humaines restent les mêmes.
    Les détenus qui dans leur vie d'avant agissaient au sein de communautés organisées (partis politiques, organisations confessionnelles) résistent plus facilement en faisant corps. Mais conscients que cette fraternité peut engendrer des poches de résistance organisée, les SS tentent de les noyauter en mélangeant des droits communs, prêts à tout pour un meilleur traitement voire une éventuelle libération ou des politiques "repentis".

    1942 à 1945 : du purgatoire à l'enfer

    En juin 1941 Hitler lance ses troupes contre son allié du pacte germano-soviétique : c'est l'opération Barbarossa (Barberousse). Si pour lui il ne fait aucun doute que sa tactique de guerre-éclair viendra rapidement à bout de ces sous-hommes, son état-major ne partage pas son bel optimisme et l'hiver 1941 leur donnera raison. Les pertes de matériel subies pendant l'automne sont énormes et peinent à être compensées. Le manque de matières premières, les bombardements alliés qui vont désorganiser le réseau ferré et le transport aérien, le manque d'ouvriers, ces facteurs doivent être compensés. 
    Les centres de production militaire vont essaimer sur tout le territoire allemand et la main d'œuvre concentrationnaire devra pallier au manque de personnel.

    1942 est l'année qui va marquer un changement radical des conditions de vie pour la population concentrationnaire à travers deux décisions qui marquent le caractère racial de la politique nazie. En janvier 1942 la conférence de Wannsee entérine deux principes : la "solution finale du problème juif" et l'extermination par le travail. Les nazis viennent de froidement signer la condamnation à mort de millions d'humains, juifs ou non.
    Dans les deux cas, tout est désormais dans les mains du WVHA qui va faire de la vie des déportés un véritable enfer.

    Le sort des juifs internés

    Dès leur ouverture les camps de concentration accueillirent des juifs allemands, de 1933 à 1935 pour des raisons plus politiques que raciales, puis à partir de la publication des lois de Nuremberg en 1935 pour des raisons "raciales". 
    Après la victoire sur les pays d'Europe du nord et sur la France, certains convois de juifs de ces territoires arriveront dans les camps de concentration.
    Bien que leur sort soit plus pitoyable que celui des autres déportés, il n'y aura que peu de tueries de masse au sein des camps de concentration.
    Jusqu'en 1942 ils peuvent espérer survivre mais en 1942 ces chances s'amenuisent et tous vivent désormais dans la terreur des "transports" qui peuvent tout aussi bien les mener vers un kommando (rarement) que sur la rampe de Birkenau. 

    Une lente extermination

    Le sort des non juifs est désormais à peine meilleur. 

    De travailleurs forcés les déportés deviennent des esclaves que l'on tue au travail, littéralement. Les déportés ne sont plus que des "stücks" qui meurent au travail. Peu importe, la main d'œuvre concentrationnaire semble inépuisable, de nouveaux arrivants remplaçant ceux qui viennent de mourir. Dans les usines, sur les chaînes d'assemblage, dans les champs, sur les rails ou les routes ils travaillent au-delà des forces humaines.

    Le WVHA, qui régit les approvisionnements des camps, réduit les rations déjà congrues et les temps de "repos" ainsi que les pauses. Dans de nombreux camps il n'y a plus que la soupe du soiroù surnagent de vagues morceaux de légumes  et l'eau brune appelé "café" le matin. Le pain se raréfie, il est immonde mais il faut faire durer la petite tartine quotidienne pour tenir la journée.

    La nouvelle des défaites de Stalingrad et de Koursk à l'été 1943 parvient jusqu'au déportés qui imaginent déjà l'avancée des troupes soviétiques et la libération toute proche, c'est sûr. A Noël ils seront chez eux !
    Mais les mois passent pendant lesquels les conditions empirent : on meurt de faim, on meurt d'épuisement, n'importe où, là où le corps et l'esprit s'arrêtent de lutter.
    La nouvelle du débarquement de Normandie en juin 44 fait renaître l'espoir :entre le débarquement allié et la poussée de l'Armée Rouge à l'est, cette fois c'est sûr, à Noël... 
    Il le faut car désormais la plupart des déportés le sait, ils ne survivront pas aux privations toujours plus dures et à la fureur de leurs bourreaux qui comprennent que le Reich qui devait durer "mille ans" a peu de chance de tenir encore mille jours.

    Évacuations et marches de la mort

    Fours crématoires de MajdaniekA l'été 1944 les troupes soviétiques enfoncent les défenses allemandes en Biélorussie. 
    Himmler donne l'ordre de démanteler le camp de Lublin/Majdanek et d'évacuer les camps situés à l'est. Mais la percée de l'Armée Rouge est trop rapide pour que les SS aient le temps d'effacer les traces de leurs crimes.
    En pénétrant dans le camp de Lublin/Majdanek (qui était à la fois un camp de concentration et un camp d'extermination) les soldats soviétiques découvrent l'horreur de l'Holocauste. Ils filment, ils photographient et invitent la presse internationale. 
    Le monde, incrédule, découvre à son tour le vrai visage du nazisme.

    De la hiérarchie aux gardiens, les SS comprennent que tout est perdu et que le monde ne leur pardonnera pas leurs crimes. Mais dans une sorte d'aveuglement peu compréhensible, ils pensent pouvoir encore masquer leurs actes. Dans certains camps ils tenteront d'effacer les traces mais la priorité est que les déportés ne puissent pas témoigner.

    Pour certains se sera le retour dans les wagons à bestiaux, destination un autre camp, pour d'autres ce seront les wagons plateformes où ils mourront dans le froid de l'hiver 44.
    Pour la majorité, ce seront des colonnes jetées sur les routes, sans autre nourriture que celle distribuée au moment du départ. Ces colonnes de loqueteux croisent d'autres colonnes de loqueteux, pour aller où ? Ordres et contrordres jettent ses malheureux sur la route qui mène loin du front, loin des libérateurs.
    Certains tenteront de s'enfuir. Une balle dans la tête. D'autres, à bout de forces, chancèlent, soutenus par deux camarades. Une balle dans la tête.

    Ils rejoindront finalement d'autres camps où sont arrivées d'autres colonnes et la surpopulation les tuent tout aussi sûrement que les gardes. Pour beaucoup, à bout de forces, les portes des camps ne s'ouvriront qu'à l'été 1945 mais tous parmi eux ne reverront pas leur patrie.
    Le camp, même libéré, aura fini par les tuer.

    Marche de la mort, dessin de MAURICE DE LA PINTIÈRE, 1945

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