• ZIPPER Herbert

    Dessins de Mieczysław Kościelniak (Auschwitz)Dans un camp le mot "résistance" n'a pas le même sens que dans un maquis ou un ghetto, même si la finalité reste la même : garder sa dignité d'Homme.
    Si, comme nous le verrons ultérieurement, certains camps virent se développer des groupes de résistance armée, une autre forme de résistance permettra à de nombreux déportés de lutter contre le redoutable système SS de déshumanisation : la résistance culturelle.

    La lutte première est la quête désespérée de nourriture terrestre mais les "nourritures célestes" permettront aux déportés de garder leur âme et le moral aussi.

     

    Parmi ces résistants de l'ombre, un homme : Herbert ZIPPER.

    De Vienne à Buchenwald

    ZIPPER HerbertNé le 24 avril 1904 au sein d'une famille juive de la bourgeoisie viennoise, Herbert choisira une autre voie que celle de son père, inventeur et ingénieur de renom.
    Il s'oriente vers la musique et suivra des cours à l'Académie de Musique de Vienne afin de devenir chef d'orchestre. Cet artiste dans l'âme côtoie le gratin artistique et à l'Académie il fréquente Maurice Ravel et Richard Strauß.
    12 mars 1938, les troupes nazies entrent en Autriche : c'est l'Anschluß.
    Il ne faut que quelques semaines pour que l'Autriche suive la politique nazie. Herbert et deux de ses frères sont déportés à Dachau où Herbert arrive le 31 mai.
    Herbert Zipper retrouve le poète écrivain librettiste Jura Soyfer qu'il avait rencontré à Vienne. 
    Devant la détresse humaine qu'il voit autour de lui, Zipper décide de créer un orchestre clandestin qui jouera secrètement pendant le repos dominical dans des latrines inoccupées du camp. Pour le jeune musicien il s'agit moins de divertir ses compagnons de captivité que de leur permettre de résister à la déshumanisation organisée par les SS. 

    Le musicien et le poète vont composer ensemble le Dachaulied (Chanson de Dachau) qui deviendra l'hymne des prisonniers et qui, au gré des transports, sera repris dans d'autres camps, à l'instar de Die Moorsoldaten.

    Dachau commence à être surpeuplé avec l'arrivée de prisonniers d'autres nationalités. Les conditions d'hygiène se dégradent et le typhus entre dans le camp. 
    Herbert est affecté au Kommando qui s'occupe des malades, qui est plus un Kommando de fossoyeurs car ils n'ont rien pour lutter contre la maladie : pas de tenues adéquates, ni même d'eau potable.
    C'est là que le musicien dira adieu son ami Jura Soyfer, emporté par le typhus à l'âge de 26 ans. 
    En raison de la surpopulation croissante de Dachau, le 23 septembre Herbert Zipper est transféré à Buchenwald.

    De Manille à Los Angeles

    A cette époque le programme d'extermination des juifs n'est pas encore mis en place et les familles les plus aisées peuvent encore quitter le territoire occupé par les nazis.
    Emil, le père des frères Zipper se démène comme un beau diable pour sauver sa famille. Réfugié à Londres, il obtient les papiers nécessaires pour faire sortir sa famille d'Autriche. Il parvient à faire sortir ses fils de Dachau et Buchenwald et le 21 février 1939 ceux-ci regagnent Vienne. Herbert et l'un de ses frères partent pour Paris. 

    Zipper dans l'enfer du Pacifique

    Herbert et TrudlTandis qu'il était à Dachau sa fiancée, la ballerine Trudl Dubsky, s'était exilée aux Philippines depuis 1937. L'orchestre symphonique de Manille recherche un chef d'orchestre et c'est tout naturellement que Trudl recommande son fiancé. Zipper accepte le poste et rejoint Trudl qu'il épousera le 1er octobre 1939.
    Il aura du pain sur la planche car l'orchestre est plutôt médiocre mais Herbert le fera évoluer et les premiers concerts seront de qualité.
    Mais la guerre rattrape Herbert, cette fois avec l'invasion japonaise et il se retrouve à nouveau derrière les barbelés pour avoir refuser de jouer devant les occupants nippons ! Les camps japonais n'ont rien à envier aux camps nazis, loin s'en faut et en tant qu'étranger, Herbert Zipper sera plusieurs fois interrogé.
    Libéré au bout de quatre mois, il retrouve Trudl. Ils ont tout perdu mais le couple se consacre à aider les autres, tout aussi démunis qu'eux, jusqu'à la libération de Manille. Herbert fait un peu de renseignement, informant les Américains sur les mouvements des navires japonais au large de Manille.
    Le couple a souvent frôlé la mort durant ces années. Mais cela n'affecte en rien l'altruisme du musicien, comme en témoigne cette anecdote rapportée par Paul Cummings dans la biographie qu'il lui consacre : 
    A 4h du matin en ce 26 février 1945, Herbert Zipper se lève pour la corvée d'eau car dans l'immeuble de sept étages en partie détruit, il n'y a plus d'eau courante et le millier de civils qui s'y est réfugié doit se débrouiller. Ce jour là le secteur est calme et il en profite pour se rendre dans les lignes américaines où il apprend qu'un bombardement massif va s'abattre sur l'immeuble qu'il vient de quitter. Zipper pèse de tout son poids pour faire repousser la frappe, arguant qu'il n'y a aucun combattant dans ces murs. Il obtient un délai de 45 minutes.
    Il revient coudes au corps à son point de départ et fait évacuer l'immeuble en toute hâte, sauvant la vie de près de mille civils, y compris celle de Trudl.

    ZIPPER Herbert

    Tandis qu'il était à Dachau, Herbert Zipper avait juré qu'à la chute du régime nazi, il ferait jouer Eroica, la symphonie #3 de Beethoven, dont il a sauvé la partition tout au long du conflit. Malgré les difficultés à reconstituer l'orchestre (beaucoup de musiciens ont péri), il tiendra sa promesse dans les ruines de la cathédrale de Santa Cruz de Manille, la veille de l'annonce officielle de la chute du nazisme. Ce même jour il fait jouer La Symphonie du nouveau monde d'Anton Dvorak.

    Artiste, altruiste et engagé

    En 1946 le couple rejoint les USA, initialement pour une collecte de fonds afin d'aider à reconstruire la vie culturelle philippine. Les Zipper apprennent que ce projet est mis au point mort par le gouvernent philippin. Ils décident de rester aux États Unis.

    "J'ai réalisé à Dachau que les arts en général n'ont pas seulement le pouvoir de vous maintenir en vie, mais aussi celui de donner un sens à votre vie, même dans les circonstances les plus atroces" (Herbert Zipper)

    ZIPPER HerbertLà, le chef d'orchestre constate que l'éducation artistique est loin d'être une priorité dans l'enseignement américain et pour cet homme convaincu du rôle de l'Art dans la compréhension que l'homme a du monde et de lui-même, ce sera le combat de sa vie : lancer des programmes artistiques communautaires qui s'adressent à tous, âges et conditions sociales confondus.
    Il lancera ses premiers programmes à New-York en 1947 quand il se voit offrir un poste d'enseignant à la New School for Social Research. Il s'implique dans des programmes de sensibilisation dans les écoles et en même temps milite pour les droits civils, la justice sociale, l'égalité raciale et même l'écologie.
    Il poursuit sa croisade en 1953 à Chicago à la Winnetka School of Music, tout en mettant à profit les vacances d'été pour contribuer au programme philippin qui a été relancé. En 1972 il accepte le poste de directeur de projet pour la School of Performing Arts de l'Université de Californie du Sud. Pendant les vingt dernières de sa vie, il dirigera des concerts pour les enfants des écoles publiques.
    En 1976 la fidèle Trudl meurt d'un cancer mais malgré son chagrin, Herbert poursuit son œuvre, allant jusqu'en Chine en 1980 où il enseignera comme "défenseur des arts".

    Il dirigera son dernier concert le 23 avril 1996. Il décède un an après, le 21 avril 1997.
    Il laisse le souvenir d'un artiste qui, contrairement à Richard Strauß ou Herbert von Karajan qui, l'un par carriérisme, l'autre par idéologie, n'a jamais toléré la moindre compromission avec les nazis et qui a préféré mettre son Art au service de l'humain, en toute modestie.

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