Le nom du camp de Sachsenhausen est moins connu du grand public que ceux d'Auschwitz, de Dachau ou de Buchenwald, à tort comme je le  notais précédemment.
Si Dachau est considéré comme camp "modèle", Sachso (diminutif donné par les internés) est le camp "idéal".
Il est l'aboutissement, le parachèvement de ce que Eicke avait mis en place à Dachau. Car au fil de mes documentations le constat s'impose à moi avec force, tel une évidence même si je n'ai pas vécu cette période : Dachau n'était que l'ébauche imparfaite du monde vu par Himmler.

Sachsenhausen en est l'expression ultime. C'est là sa particularité par rapport à tous les camps.

Le premier camp 100 % SS

Alors que Dachau fut initialement installé dans une ancienne usine, le camp de Sachsenhausen est le premier camp à sortir de terre, sous la responsabilité pleine et entière de la SS.
Bien qu'il ait souhaité agrandir Dachau, Eicke cèdera à l'impératif administratif de faire construire un nouveau camp près de Berlin où est situé le siège de l'Inspection Générale des Camps.

En juin 1936 il préempte une partie des forêts domaniales près de la ville d'Oranienburg.

Conception du camp modèle

Pour comprendre Sachsenhausen il faut entrer dans le marécage de la pensée himmlérienne et de sa vision de l'Ordre Nouveau en général et de l'Ordre Noir en particulier. Rassure-toi cher lecteur, nous en ressortirons très vite !

Pangermaniste convaincu et membre de la nébuleuse Société de Thulé, qui mêlait ultra nationalisme, antisémitisme et racisme agressifs à un ésotérisme et un occultisme de pacotille en reprenant certains rites franc-maçonniques, Himmler est un mystique¹, jusqu'à la caricature (dont se moqueront volontiers ses bons camarades de pouvoir), mais un mystique dangereux.
Rêvant de ressusciter "l'Odre des Chevaliers Teutoniques" à travers la SS, il la rêve aussi comme un nouvel ordre religieux qui remplacera le catholicisme qu'il exècre, à travers une religion mêlant toutes ses croyances et dont il serait le "grand prêtre". 
Cela porterait à sourire si Himmler n'était resté qu'un éleveur de poulets mais il deviendra Reichführer SS, deuxième personnage le plus puissant du Reich qui mettra en place le plus grand massacre de l'histoire de l'humanité.

Ce nouveau camp doit donc être à la fois le symbole architectural du pouvoir absolu de la SS et de sa conception mystique du monde.
Les plans, auxquels participera Theodor Eicke (probablement pour le côté "pratique" plus que mystique) sont confiés à l'architecte SS Bernhard Kuiper. Même si le nom de Himmler est rarement mentionné à ce stade de la naissance de Sachsenhausen, il ne fait aucun doute qu'il a supervisé et piloté chaque étape de l'élaboration des plans du camp.

Une architecture symbolique

Comme le montrent la vue aérienne ainsi que la maquette du camp, le camp central qui accueillera les internés ainsi que la Kommandantur (administration SS du camp) est un triangle équilatéral d'une surface de 18 hectares , intégré dans un triangle plus grand dont la base repose sur un périmètre où sont disposés les casernements de la garde SS (la Totenkopfverbände) et sur la gauche le bâtiment en T pour Todt (mort).
La symbolique ésotérique du triangle (qu'on retrouve également dans la franc-maçonnerie) de même que la disposition en "rayons de soleil" des baraques face au portail et au poste de garde central sont pensés pour créer crainte et respect.
Pour l'anecdote, l'architecte Bernhard Kuiper est quant à lui préoccupé par "une signature esthétique rappelant le caractère idyllique de l'architecture de jardin, qui contraste de manière frappante avec son objectif" ¿¿¿

Un plan pour l'avenir

Ce qui est frappant c'est qu'alors que nous ne sommes qu'en 1936, les plans de Sachsenhausen-Orianenburg prévoient déjà les infrastructures qui accueilleront plus tard les futurs prisonniers de guerre, dont les prisonniers "de marques", les emplacements industriels qui entérinent d'ores et déjà la perspective du travail forcé souhaité par Eicke et celui des bâtiments qui inspireront la terreur à tous les prisonniers. Rien n'est laissé au hasard.

Sachsenhausen-Oranienburg sort de terre

En juillet 1936 les premiers prisonniers arrivent du camp d'Esterwegen, les "Moorsoldaten", bientôt suivis de ceux venant du camp Berlin-Colombia, qui étaient alors en cours de fermeture. 
Peu après arrivent des asociaux, des homosexuels car les nazis sont en train de nettoyer les rues de Berlin qui attendent les visiteurs de 49 nations.

Ils sont environ un millier qui découvre les 600 hectares de forêt marécageuse, une forêt de pins enracinés dans un sol sablonneux. Leur première tâche est le déboisement des 30 hectares du triangle, la pose de la première enceinte de barbelés qui le le délimiteront.

Ce seront plus de trois mois d'un travail pénible, dans des conditions inhumaines car il n'y a aucun abri pour les prisonniers, les premiers baraquements construits étant ceux des SS. 
Les cadences sont infernales car les baraques des détenus doivent être prêtes début octobre. Mais comme si cela ne suffisait pas, il y a les gardes qui, entre brimades puériles et brutalité, rendent le travail encore plus pénible.
Un des survivants, Bruno Strey, raconte : "Il a fallu déboiser et porter des arbres de cinq à six mètres de long sur l'épaule au pas de course. Un SS était chargé d'accélérer la manœuvre [...] lorsqu'un prisonnier passait devant lui, il sautait sur la couronne de l'arbre qui traînait à terre de sorte que, subitement freiné dans sa course [...], le prisonnier s'écroulait".

Et pendant ce temps, à Berlin soit à 30 kilomètres de là, dans le cadre des Jeux Olympiques, les visiteurs admirent l'harmone qui règne dans cette nouvelle Allemagne.

1937 : le nouvel enfer SS est prêt

Les toutes premières baraques pour les prisonniers seront prêtes fin 1936.
Entre temps, un nouveau contingent d'environ un millier de prisonniers arrivent des camps désormais fermés de Sachsenburg, Chemnitz ou encore Frankenburg et prêtent main forte à ceux d'Emsland pour achever la construction de leur nouvel enfer.

Un mur de 2,70 mètres de haut est construit autour du triangle, avec un no man's land de 2 mètres entre lui et la rangée de barbelés électrifiés qui entoure le camp. Des miradors équipés de mitrailleuses tiennent tout le camp sous leur feu. Une zone neutre entourée de chevaux de frise, où il est interdit de pénétrer sous peine d'être abattu sans sommation, complète la zone de sécurité.

Construction prioritaire, la prison du camp, elle aussi en forme de T, soigneusement isolée du reste du camp par des barbelés, une palissade et un mur.
Ce ne sera malheureusement pas le seul lieu de torture du camp, qui continuera d'évoluer jusqu'à la guerre.

Mais au premier trimestre 1937 tout est prêt pour accueillir de nouveaux prisonniers dans ce camp qui sera désormais le modèle d'organisation SS que suivront tous les autres camps à venir.

En 1937,l'architecte Bernhard Kuiper² écrira dans son CV :
"Le camp de concentration de Sachsenhausen est toujours le camp le plus moderne, le plus beau et le plus grand du genre dans le Reich allemand et j'ai été mandaté par la police secrète d'État - inspection des camps de concentration - en tant que chef du département de construction de l'ICL jusqu'au 25 mars. "

(1) De la place réelle de l'occultisme chez les nazis, à lire sur Géo

(2) Bernhard Kuiper installera ses bureaux au sein du camp d'où il gèrera ses propres affaires. Pour une raison inconnue il se brouille avec certains responsables de l'IKL et ses travaux seront poursuivis par l'architecte  Robert Riedl (qui fera les plans de Buchenwald).