• Dachau période transitoire

    Dachau camp en mars 1933Quand le camp de Dachau a ouvert ses portes en mars 1933, rien n'aurait laissé présager qu'il deviendrait un jour le symbole du monde concentrationnaire que la Libération allait dévoiler au monde sous le choc.

    Pour paradoxal que cela puisse paraître, la transition entre le camp des débuts et le Dachau tel que nous le connaissons aujourd'hui s'est faite à la fois rapidement puis progressivement.
    Le temps de l'apprentissage à la cruauté et le rodage d'un système.

     

     

    Dachau passe sous l'autorité SS

    Dachau vient donc d'ouvrir ses portes et rien ne le distingue d'autres camps gérés par la SA dans d'autres Länder, si ce n'est peut-être sa taille et son caractère plus "définitif" que la myriades de micro-camps éphémères ouverts par la SA à travers toute l'Allemagne.

    L'amateurisme SA

    Les prisonniers y travaillent comme des forçats à divers travaux dont l'aménagement du camp qui semble bien voué à durer1. On y mange et on y dort dans les conditions d'un camp d'internement comme les autres. Ou presque.
    Car on y meurt aussi, pas encore à cause des conditions de vie ou des conditions de travail, mais parce que les SA frappent comme des sourds, parfois jusqu'à la mort. Ils cognent pour des raisons futiles, parfois même sans raison sinon le plaisir de se défouler.

    Ces meurtres émeuvent un peu les autorités judiciaires de Bavière mais ils irritent fortement le chef de la police bavaroise, Heinrich Himmler.
    Cela l'irrite d'autant plus que bien qu'il soit Reichführer SS, la SS est encore sous l'autorité de la SA et de son chef Ernst Röhm. 
    Cette tutelle pèse à Himmler d'autant que, bien qu'il en ait fait partie, il considère les SA plus comme une troupe de mercenaires incontrôlables que comme une troupe paramilitaire digne de ce nom. Rien à voir avec ses SS, recrutés sur des critères stricts au niveau racial et moral, et qui doivent se plier à une discipline rigide !
    Pour le moment, ses 52 000 hommes pèsent peu face aux 3 millions d'hommes que compte la SA mais déjà Himmler, avec la complicité d'Heydrich, affûte ses couteaux.

    La prise de contrôle SS

    Le 10 avril 1933 (le 19 selon d'autres sources) Himmler porte la première estocade : il retire la garde du camp aux SA et la place entre les mains des SS.

    Les premiers SS à Dachau 1933

     

    Hilmar WäckerlePour commander le camp, Himmler choisit un fidèle du Parti Nazi, ancien combattant de la Grande Guerre, farouchement anti communiste et qui partage avec lui un passé dans l'agriculture (il participera à la rédaction de la politique agricole du Reich) : Hilmar Wäckerle.

    Si Himmler critiquait la violence des SA, ce n'était pas par humanisme mais cette brutalité lui paraissait contreproductive. Le Reichführer a des valeurs morales et la violence gratuite n'en fait pas partie ¿ 
    Il se voit comme un berger en charge de ramener les brebis égarées sous la bannière nazie et il faut tout mettre en œuvre pour les débarrasser de ces idées néfastes que sont le communisme, le socialisme et plus tard le syndicalisme. Il donne donc ses consignes au nouveau commandant.
    Wäckerle les appliquera avec zèle, Conformément aux ordres d'Himmler, il installe un régime de terreur permanente, 
    C'est un "état d'exception permanent" qui opère comme un lavage de cerveau sur les détenus. Alors qu'avec les SA les prisonniers redoutaient la punition qui suivait la faute, désormais leur peur permanente leur fait redouter la faute qui entraînera la punition. Et avec Wäckerle et ses SS, tout manquement devient une faute qui doit être punie sévèrement et il en instaure de nouvelles telles "l'incitation à la désobéissance" ou encore "l'insubordination violente" dont la punition est la mort.

    Mais en mai 1933 ses méthodes font 7 morts et cette fois la justice réagit car le camp est toujours sous la responsabilité de la Bavière. Himmler doit désamorcer la situation. Il rencontre Hans Frank, le ministre de la Justice, le 2 juin et s'engage à limoger Hilmar Wäckerle. Celui-ci s'engagera dans la future Waffen SS et sera tué au combat en 1941.
    Ce même jour, Himmler signe la libération du futur commandant de Dachau : Theodor Eicke.

    "La tolérance signifie la faiblesse"

    Theodor EickeLe 26 juin 1933 (28 selon d'autres sources) quand Eicke arrive à Dachau, le camp accueille 2 000 prisonniers.

    Il va reprendre les bases posées par Wäckele et les "améliorer".
    Certains évoquent des problèmes psychiatriques mais il est certain que son fanatisme, sa haine des opposants et de tout ce qui n'est pas aryen vont influencer tout son travail en tant que commandant. Quasiment dénué d'affect, il va établir une discipline de fer tant pour les détenus que pour les gardes SS.
    En premier lieu, jusqu'en octobre 1933, il travaille à l'élaboration d'un "règlement régissant la discipline et la répression des détenus", dont l'introduction indique que "la tolérance signifie la faiblesse".
    Le but est de briser totalement les prisonniers, que ce soit moralement ou physiquement et de les tenir en état de terreur permanente. Il est peu probable qu'il ait partagé l'objectif de rééducation d'Himmler mais les prisonniers qui auront la chance d'être libérés ne représenteront plus de danger pour le Reich après le "traitement Eicke".
    Il établit un véritable catalogue disciplinaire avec une hiérarchisation de sanctions qui seront appliquées "en vertu du droit révolutionnaire", allant jusqu'au pilori ou l'exécution selon la gravité des fautes. Ce règlement officiel aurait-il pour but d'encadrer les violences ? On peut en douter.

    Si il a probablement été établi dans la perspective "himmlérienne", pas encore manifeste, de multiplier l'installation de nouveaux camps dont Dachau serait le prototype, il est surtout destiné à éviter les ingérences des Länder ou de la justice,  comme en juin, en donnant un semblant de légalité aux châtiments infligés aux détenus. A partir de l'été 33 des meurtres ciblés seront perpétrés mais maquillés de telle sorte qu'ils soient conformes au règlement afin d'écarter les autorités judiciaires et civiles.

    L'école des assassins

    La grande innovation de Theodor Eicke est la mise en place d'une formation et d'un règlement draconiens encadrant les actions des SS, non pas pour tempérer leurs ardeurs mais pour en faire des bourreaux efficaces et totalement dévoués.
    L'universitaire américain Louis Leo Snyder qui a suivi la montée du nazisme dès ses débuts, écrit dans une de ces études : "L’influence de Eicke sur l’organisation et l’esprit des formations de gardes SS était sans commune mesure avec celle de Himmler. Ses règlements prévoyaient des instructions précises sur l’isolement cellulaire, les châtiments corporels, les réprimandes et les avertissements."

    Alors qu'Himmler est un théoricien et un bureaucrate, Eicke est un homme de terrain. Ce SS fanatique, engagé en 1928, comprend instinctivement que pour tirer le meilleur parti de ses hommes il doit d'abord leur redonner la fierté d'être SS. Pour comprendre comment il est parvenu à transformer ses hommes (et ceux qui lui seront confiés par la suite) en implacables machines à tuer, il faut se remettre dans le contexte de son arrivée au camp.
    Eicke explique avec amertume : "Il y a eu des moments où nous n'avions pas de manteaux, pas de bottes, pas de chaussettes. Sans même un murmure, nos hommes portaient leurs propres vêtements en service.
    Nous étions généralement considérés comme un mal nécessaire qui ne coûtait que de l'argent ; des petits hommes sans importance montant la garde derrière des barbelés. La paie de mes officiers et de mes hommes, aussi maigre soit-elle, je devais la mendier auprès des différents bureaux des finances de l'État. En tant que Oberführer, je gagnais à Dachau 230 Reichmark par mois et j'avais la chance de bénéficier de la confiance de mon Reichsführer (Himmler).
    Au début, il n'y avait pas une seule cartouche, pas un seul fusil, sans parler des mitrailleuses. Seuls trois de mes hommes savaient comment utiliser une mitrailleuse. Ils dormaient dans des halls d'usine pleins de courants d'air. Partout, il y avait la pauvreté et le besoin. À l'époque, ces hommes appartenaient au district sud des SS. Ils m'ont laissé le soin de m'occuper des problèmes de mes hommes mais, sans me le demander, ils m'ont envoyé des hommes dont ils voulaient se débarrasser à Munich pour une raison ou une autre. Ces inadaptés ont pollué mon unité et troublé son état d'esprit. J'ai dû faire face à la déloyauté, au détournement de fonds et à la corruption...
    "

    Il réorganise la vie des SS en créant un quartier séparé du camp des détenus et sépare le personnel d'encadrement qui devient pratiquement une Kommandantur indépendante, des gardiens du camp, en créant ainsi deux entités distinctes. Cette nouvelle organisation trouvera pleinement sa justification quand, après la promulgation des Lois de Nuremberg, arriveront des détenus qui seront responsables de l'encadrement, les kapos.
    Dans le même temps il met en place un règlement pour les SS, aussi rigide que celui des détenus, et le moindre manquement est sévèrement puni. Le moindre signe de faiblesse est sévèrement sanctionné car il veut des hommes impitoyables inspirant une terreur totale aux prisonniers. Cette politique de la carotte et du bâton est un succès total. Si ses hommes le craignent, ils l'admirent aussi aveuglément et le surnomment "papa Eicke".

    Août 1933 : des SS heureux ¿

     

    Il est fier de sa réussite et ne s'en cache pas :
    "Désormais, le progrès était sans entrave. Je me suis mis au travail sans réserve et avec joie ; j'ai formé des soldats comme sous-officiers, et des sous-officiers comme chefs. Unis dans notre disposition au sacrifice et à la souffrance et dans une camaraderie cordiale, nous avons créé en quelques semaines une excellente discipline qui a produit un esprit de corps remarquable. Nous ne sommes pas devenus mégalomanes, car nous étions tous pauvres. Derrière la clôture de barbelés, nous faisions tranquillement notre devoir, et sans pitié, nous expulsions de nos rangs quiconque montrait le moindre signe de déloyauté. Ainsi formée et entraînée, l'unité de garde du camp a grandi dans la tranquillité du camp de concentration."
    Il a tout lieu d'être fier : Dachau devient le centre de formation qui fournira les grands assassins du futur empire concentrationnaire.
    Pendant ce temps les détenus vivent entre le bâton de la terreur et du travail forcé et la carotte d'une libération, prix de la docilité et de la dépersonnalisation.

    Noël 1933 : libération de détenus

    Pour parfaire son œuvre, Eicke interdit désormais l'accès du camp à la presse et isole le camp du monde extérieur. Ce qui se passe dans le camp reste dans le camp.

    La pierre angulaire de l'édifice concentrationnaire

    Theodor Eicke quitte officiellement son poste de commandant de Dachau en juillet 1934.
    En un an il mis en place les bases du système qui servira de modèle dans les camps qui seront érigés à partir de 1936 et dont il restera la tête pensante.
    En effet, cette même année il devient l'inspecteur des camps de concentration à la tête de l'organisme dont il est le fondateur, l'Inspection des Camps de Concentration ou IKL.

    Mais Dachau reste son "bébé" dont il continue d'améliorer le fonctionnement de 1934 à 1936, période transitoire avant la création du grand camp de Dachau qui marquera les mémoires.

     


      Notes :

    1 : effectivement Dachau sera le seul camp à fonctionner sans discontinuer pendant 12 ans, de sa création en mars 1933 à sa libération le 29 avril 1945

    2 : source Spartacus Educational


     

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